L’atelier
Pourquoi continuer à fabriquer des objets alors qu’on est déjà ensevelis sous les produits d’usine ? Je ne savais pas quand j’ai commencé. Et je ne sais toujours pas si c’est une bonne chose ou une illusion de plus. Par contre je sais que depuis que je travaille la terre, je cuisine dedans, je conserve dedans, je mange dedans…
Je sais surtout, après plus de dix ans de tournage, de fabrication et d’utilisation, que ça me relie aux peuples d’avant les grands gâchis. Aux temps où fabriquer quelque chose, ce n’était pas rien. Les poteries que je fais ont des formes qui ressemblent à celles du néolithique. Pourtant il n’y a pas très longtemps que j’ai découvert ces céramiques anciennes, céramiques d’un quotidien où il était sûrement vital de bien conserver, de bien cuire. Et elles m’ont tout de suite été plus familières que les objets modernes, infinis et parfaits. Ces anciennes poteries ne sont pas “parfaites”, elles sont très particulières. Ça se voit, l’âme d’un pot. Le travail particulier d’un potier, l’usage particulier qu’en a fait une personne. Comme la Bretonne et son pot pour la crème, qui la suit où elle va, toute sa vie et peut-être après.
Ensuite je vois que le travail de la terre me relie aussi aux personnes d’aujourd’hui, en nous donnant l’occasion de nous parler des mêmes choses simples qu’au néolithique, comme par exemple comment on aimerait faire cuire les patates. Parce que pour faire la bonne marmite en terre, il faut connaître quelques détails, la taille, les goûts, les possibilités, la place, l’énergie. Alors j’ai l’impression qu’on retisse une culture vraiment commune. Et comme cette culture vient de loin, on ne part pas de rien, on peut s’appuyer sur de vieilles connaissances, l’expérience des peuples de partout. Il me semble que dans nos échanges autour des pots et des besoins, il y a une envie réciproque de respect, respect pour le travail, respect pour l’usage. Et le pot redevient tout seul quelque chose d’important. Mais si on en doutait, tout n’est pas réglé par la magie d’une casserole.
Il n’empêche, pour finir, que la terre cuite et la cuisine font un tout avec la terre du jardin, et avec notre toute petite ferme, et la montagne où elle est, ce qui y vit et y a vécu. On trouve de vieux morceaux de poteries partout où la bêche tombe.
Un jour sur une foire, un producteur d’ail bio (ce qui n’est pas rien) m’a dit qu’il y avait dans son coin, il n’y a pas si longtemps (au temps de son grand-père), des potiers qui venaient dans les fermes avec leur tour sur la charrette, et tournaient la vaisselle que les gens voulaient avec l’argile du fond du jardin…